
Le modèle du « Vivre ensemble » n’ayant plus de réalité tangible (si tant est qu’il en ait eu un jour) dans notre société émiettée laisse la place libre à une régression vers les regroupements ethniques et culturels.
La régression identitaire, ce n’est pas seulement celle du « petit blanc, patriarcal, colonial, égoïste, réactionnaire », c’est aussi celle de toutes les populations immigrées qui affichent toutes sans exception la fierté de leur propre identité culturelle et ethnique, à commencer par les communautés marocaine et turque de Belgique.
Que signifie l’antithèse « Vivre-ensemble » pour la plupart des Belges ? C’est forcément une référence abstraite, puisque de la Belgique une et indivisible de 1830 (l’État-nation avait pour devise nationale « L’union fait la force »), le Royaume s’est « désunifié » en trois Régions-nations, ou plus exactement trois Régions-communautés.
Et celles-ci sont à leur tour en train d’être divisées par les forces centrifuges de plusieurs communautés issues de l’immigration (toutes aspirées par le modèle communautaire) et d’une infinité de groupes socioculturels contradictoires de plus en plus revendicatifs de toutes sortes de droits et de représentation parlementaire.
Un gouvernement fédéral, plus des gouvernements régionaux, plus encore des gouvernements communautaires pour déconcentrer les politiques publiques afin de les faire revenir aux réalités des territoires et des communautés nationales originelles (flamande, francophone, germanophone) : pourquoi pas, mais en revanche cela nous prive des principes et des symboles de reconquête du « sens commun ».
La fragilité de nos éphémères coalitions gouvernementales montre à l’envi combien notre « particratie » endémique nuit à tout effort de pédagogie et de reconquête culturelle d’un « sens commun ». La particratie ne construit rien, elle se contente de vider le pays de sa substance.
La particratie, pour se maintenir (à tout prix), s’excelle à puiser dans la manne publique, essentiellement pour acheter la paix sociale : en distribuant à tire larigot des subsides et subventions en tous genres, pour tous et pour tout. Sans empêcher la désintégration du pays, au contraire elle l’accélère même, puisque notre endettement public et privé explose.
Nous vivons en permanence dans un état schizophrénique (c’est peut-être pour cela que nous nous distinguons comme la « Patrie du surréalisme ») où l’on prône le vivre-ensemble, alors que tout, à l’échelon institutionnel, comme à l’échelon sociétal, montre que nous ne vivons pas ensemble mais les uns à côté des autres (sans vision commune, sans projet commun), ou plutôt (étant donné l’exigüité de notre pays) les uns agglutinés aux autres… de plus en plus nombreux.
Par ailleurs, que signifie le « Vivre-ensemble » pour des gamins des quartiers à forte population immigrée nés au XXIe siècle, enfermés dans l’univers cloisonné de leurs quartiers et dans le communautarisme qui s’y développe au galop, dépourvus de perspective d’ascension sociale, hors de la contre-société du trafic de drogue, et conditionnés aux valeurs de l’individualisme le plus sauvage par l’instinct de survie comme par les médias culturels qui les imprègnent, que ce soit le rap, les jeux vidéo ou les réseaux sociaux ?
Toute leur construction symbolique se fait à peu près à l’opposé de ce que sont les valeurs de la citoyenneté belge et que l’école essaie tant bien que mal de leur inculquer, sans aucun succès. Dans cette société des « quartiers », le Royaume (la gouvernance de la démocratie parlementaire belge) n’est qu’un concept étrange, un mot, une illusion, un privilège des autres, les « Belges », des autres quartiers.
Le mal-être belge ne ronge pas que les quartiers aujourd’hui en ébullition, et l’on en voit quotidiennement la marque, à travers le processus de « décivilité » qui pourrit notre (soi-disant) «vivre-ensemble ».
L’incantation aux valeurs belges suscite au mieux l’indifférence, au pire le rejet de la part d’une grande partie des habitants, notamment parmi les plus déshérités. Les communautés allochtones (issues de l’immigration) sont en majorité imperméables à la « belgitude » (culture et civilité belges) mais étonnamment très perméables aux servitudes belges (les valeurs purement matérielles, c.à.d. les espèces sonnantes et trébuchantes qui leur sont généreusement versées sous forme d’allocations diverses).
La Belgique, contrairement à la France, n’est pas une et indivisible, elle est « archipellisée » par le régionalisme et le localisme où prospèrent gouvernement fédéral, gouvernement régionaux, gouvernements communautaires.
Bref, un modèle éclaté, et en voie de l’être davantage depuis les élections de 2024 : des partis phares (grands et petits) gouvernementaux incapables de se mettre d’accord (de se coaliser) pour former un gouvernement régional à Bruxelles, des politiciens de pacotille incapables de ne plus s’insulter (alors qu’ils devraient incarner l’exemple même du « Vivre ensemble »). Et si les Flamands n’obtiennent pas bientôt le confédéralisme, la révolution prendra le pas : elle partira de leur communauté pour contaminer les autres communautés régionales du Royaume.

