
Notre système hospitalier reste un des meilleurs du monde, mais il est menacé.
Ce qui mine actuellement nos établissements : défiance à l’égard des professionnels, hyper-réglementation, prééminence des problématiques administratives et comptables sur les besoins sanitaires, instauration d’une gouvernance de bureaucrates privilégiés, mise en œuvre de « réorganisations » ou de « transformations » mal pensées, mal acceptées et sources de gaspillages, absence d’articulation avec la médecine de ville et, surtout, sous-financement et mauvaise anticipation de la pénurie médicale.
L’hôpital a été « mis sous tension » par un système d’allocation de ressources restrictif et pervers instaurant la lutte de tous contre tous.
Les dirigeants hospitaliers sont réduits année après année à saupoudrer des restrictions budgétaires qui vont à rebours de l’objectif affiché d’ « efficience » et se trouvent dans l’impossibilité de réaliser les investissements nécessaires.
Les gouvernements successifs provoquent des déficits dont sont ensuite accusés les acteurs de terrain, « incapables de s’organiser ».
Ce discours culpabilisant et ces injonctions paradoxales sont insupportables et aboutissent à la déliquescence à laquelle nous assistons, médusés : médecine d’abattage, déshumanisation des soins, souffrance éthique, cloisonnement des différents corps de métier, y compris au sein des équipes soignantes, mutualisation des personnels au mépris de leurs savoir-faire, burn-out, perte de sens pour les professionnels, perte de chance pour les malades, départs de plus en plus nombreux de personnels, rigidité des statuts mettant l’hôpital public dans l’impossibilité de lutter à armes égales avec les autres types d’établissements, difficultés de recrutement, fermetures de lits, désorganisation des parcours de soins, vétusté des bâtiments et des équipements, aggravation des déficits, multiplication des contentieux et, pour finir, altération de l’image donnée par ce « trésor national belge », qui attire de moins en moins les personnels et les patients.
L’hôpital n’a pas l’apanage de cette évolution dangereuse pour la cohésion nationale. Tous les services publics sont touchés par le même mal, en particulier la justice, l’enseignement, la police, la défense.
La dépense publique serait mauvaise en soi et devrait être réduite, alors qu’elle est l’instrument de nos libertés, de l’égalité entre citoyens, de la fraternité et de la sollicitude envers les plus faibles, bref, l’instrument des valeurs fondatrices de notre État-providence et de sa sécurité sociale.
L’histoire hospitalière est une longue alternance de périodes fastes et de périodes moins fastes. Les médecins souhaitent disposer des moyens optimaux pour soigner. Les pouvoirs publics ont toujours pensé que l’hôpital dépensait trop.
Les soins et les conditions d’accueil des malades ont connu des progrès considérables depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Les temps ne sont plus les mêmes et une telle progression n’est plus aujourd’hui possible.
Déjà, avant la propagation de l’épidémie du Covid- 19, les restrictions imposées à l’hôpital avaient atteint un niveau critique. Le garrot qui l’étrangle davantage aujourd’hui doit être desserré. Le gouvernement fait l’autruche.
Cela va finir par justifier un éventuel mouvement social à l’hôpital public, en particulier une grève du codage, qui symbolise le rejet de l’hôpital-entreprise.
Ce mouvement de contestation partira probablement des urgences, en s’étendant à tout l’hôpital en regroupant toutes les catégories de personnels hospitaliers, à commencer par les plus jeunes, et la contestation sera probablement soutenue par des associations de patients.
Pour continuer à assurer un haut niveau de soins et ne pas renoncer au progrès médical, il faut admettre que le système de santé, dont l’hôpital (invention chrétienne) reste un pilier, coûtera de plus en plus cher.
Les raisons en sont connues : vieillissement de la population, avancées diagnostiques et thérapeutiques coûteuses.
Une autre raison mérite d’être soulignée : l’impossibilité de faire des gains de productivité élevés dans ce secteur, car les soins reposent d’abord sur des êtres humains aux compétences de plus en plus sophistiquées et qui ne peuvent pas pour leur immense part être remplacés par des machines.
Il est donc indispensable de changer d’orientation, de corriger les carences et les incohérences de notre système de santé et, à l’hôpital, de provoquer un double choc d’attractivité et d’autonomie.
En premier lieu, il conviendrait de rémunérer les personnels hospitaliers à la hauteur du service rendu, des particularités régionales, de leurs compétences et de leur dévouement, à commencer par les infirmiers et les aides-soignants, en rattrapant le retard pris sur les pays européens comparables au nôtre.
En deuxième lieu, il faudrait que les pouvoirs publics manifestent leur confiance aux professionnels de terrain en les impliquant davantage dans les décisions, selon un principe de subsidiarité.
Les équipes de soins et les dirigeants hospitaliers doivent disposer d’une large indépendance aussi bien pour l’aménagement de la vie au travail que pour les réorganisations structurelles, et cela dès le niveau du service, cellule de base de l’hôpital, plutôt que de subir d’en haut des décisions non négociées et souvent vouées à l’échec.
Il est souhaitable enfin de faire des efforts d’investissement pour retrouver un haut niveau d’accueil des patients, de qualité et de sécurité des soins, de formation et de recherche.
Nous attendons de l’exécutif qu’il soit à l’écoute et qu’il redonne à notre système hospitalier confiance et espoir.


