
Jungle bureaucratique, réponses aléatoires, formations inadaptées, budgets décentralisés… La reconversion des demandeurs d’emploi tient toujours du père Ubu. Nous comptons y mettre bon ordre en réorganisant en profondeur le système entier.
« Totalement dépité, désespéré, je ne sais que faire… »Ce jeune chimiste est à bout. Cela fait des mois qu’il bataille pour trouver un emploi de chef de projet en recherche-développement. Ce n’est pas que les postes manquent : beaucoup sont disponibles sur le marché. Mais, tous les DRH le lui répètent, il lui manque des compétences en management pour pouvoir être recruté.
Voilà quelques mois, il s’est donc présenté à un master d’administration des entreprises, assuré à distance et en formation continue. Il se croyait tiré d’affaire, lorsque son agence pour l’emploi et formation, le Forem de Wavre lui a barré la route. Par principe, lui a-t-elle fait savoir, le Forem ne finance pas d’enseignement à distance. Le jeune chimiste s’est retrouvé à la case départ. Le plus rageant, c’est qu’à une centaine de kilomètres de là, à Verviers, un chômeur placé dans la même situation et pour lequel une association de chômeurs et précaires s’était mobilisée, a réussi à obtenir sa formation. Splendeurs et misères du Forem…
Décidément, notre système de formation, qui engloutit chaque année des centaines de millions d’euros, a bien du mal à remplir ses missions. Non seulement il peine à assurer la promotion sociale des salariés, mais il s’avère incapable d’offrir une reconversion efficace aux chômeurs. Le croira-t-on ?
En moyenne, ces derniers bénéficient de deux fois moins de stages que les travailleurs en poste. Et on ne leur réserve en tout et pour tout qu’environ 10 % des crédits du secteur. Ils devraient pourtant être les premiers sur la liste. Ceux qui ont eu la chance d’avoir accès à une formation retrouvent en effet un contrat de travail plus long en moyenne de 330 jours que les autres, a calculé le chercheur Marc Ferracci. Selon un récent rapport du Forem, la formation est d’ailleurs évoquée dans presque un entretien sur deux (44 %) au Forem. Mais seuls 7 % des inscrits en bénéficient dans les six mois qui suivent.
La première raison de ce désastre tient à l’incroyable complexité du secteur. Entre l’État, les régions, Actiris, le Forem, le VDAB et les organismes privés, les chômeurs en mal de formation sont souvent complètement perdus. Et les conseillers des différents organismes publics et privés, censés les aiguiller dans ce maquis, ont eux-mêmes du mal à s’y retrouver.
Aussi fou que cela puisse paraître, ces derniers ne disposent à ce jour d’aucune base de données globale décente regroupant toutes les offres existant dans le royaume. « On est obligés de piocher dans plusieurs fichiers », témoigne un salarié d’une antenne liégeoise.
Plus ennuyeux encore pour les chômeurs, la validation de leur projet peut varier d’un agent à l’autre. Cette chercheuse d’emploi qui souhaitait se reconvertir dans le tutorat de personnes âgées a bien failli en faire les frais. Pour on ne sait quelles raisons, son conseiller a refusé tout net sa demande. Fort heureusement, il est très vite parti en vacances et son remplaçant, lui, a accepté. Des exemples comme celui-là, on en voit malheureusement tout le temps.
Et pour obtenir un financement, c’est un pire bazar encore. Un comptable au chômage s’est ainsi récemment vu refuser une demande auprès d’Actiris pour une formation aux normes IFRS, sous prétexte qu’elle ne figurait pas dans le catalogue homologué. « C’est absurde : trois entreprises voulaient pourtant l’embaucher ! », s’exaspère sa propre conseillère. Depuis, il est toujours sans emploi alors même que le secteur manque de bras… Tout aussi regrettable : cette même conseillère reçoit régulièrement des personnes qui auraient besoin d’actualiser leur permis poids lourd pour décrocher un job. Le problème, c’est que la direction de son agence propose des cours pour passer le permis, pas pour rafraîchir les connaissances. « A chaque fois que je fais une demande de ce type, on me répond que c’est à l’employeur de payer, c’est surréaliste ! »
En réalité, dans le dispositif public de formation les critères sont opaques. Deux personnes qui présentaient des profils similaires et souhaitaient toutes les deux devenir conseiller en insertion ont ainsi fait il y a quelques mois la même demande de formation auprès d’Actiris. L’une a obtenu le feu vert, l’autre pas, sous prétexte que son niveau d’études était trop élevé. Les deux étaient pourtant bacheliers.
Il faut dire que la régionalisation des budgets n’a jamais simplifié le système. Chaque région a, non seulement ses propres priorités en matière de métiers et de public à cibler, mais, en général, ils n’acceptent de payer que pour leurs propres ressortissants.
Un organisme qui prépare notamment aux professions du traitement de l’eau en Wallonie a vu sa dernière formation accueillir dix stagiaires wallons. C’est un crève-cœur, il y a plein de travail dans ce secteur, mais les ressortissants bruxellois n’avaient pas un accès subsidié à cette formation.
Et c’est la même chose dans de nombreux secteurs de l’industrie, du BTP ou encore des transports. Une formatrice de Bruxelles est ainsi régulièrement contactée par des chômeurs d’autres régions qui voudraient suivre sa session de logistique des transports. « Mais comme les budgets ne suivent pas, je n’ai quasiment plus d’élèves », se désole-t-elle. Du coup, son cours risque d’être purement et simplement supprimé. Il faut que tout le monde assouplisse ses financements sinon les chômeurs n’arriveront jamais à se reconvertir.
Le plus absurde, c’est que, dans le même temps, le système gaspille des millions pour monter des formations peu ou pas du tout adaptées au marché du travail. Passons sur les sessions bidon du type « comment refaire son CV » ou « comment exploiter au mieux son réseau », ou sur celles dont la qualité n’est pas à la hauteur et concentrons-nous sur l’essentiel.
Tous les jours, des milliers de chômeurs perdent leur temps à suivre des enseignements qui ne mènent à rien ou presque. Il y a par exemple pléthore de cours d’infographie, de communication ou encore de maintenance informatique à niveau bachelier, alors que les employeurs cherchent surtout des masters.
Autre absurdité, alors même que les crédits sont comptés, nos agences pour l’emploi et la formation financent à gros débit des stages ou des sessions d’apprentissage en entreprise pour agents de sécurité, caissières et même techniciens de surface (qui, rappelons-le, font du ménage), alors que ces postes ne nécessitent a priori aucune formation particulière. « Ce sont les grands groupes qui l’exigent, s’étrangle-t-on chez Actiris. Cela leur permet de profiter des fonds d’aide à la formation pour embaucher des chômeurs à moindre coût, notamment sur des pseudo-contrats d’apprentissage. » Le pire, c’est que, une fois les contrats terminés, les personnes retournent souvent pointer au chômage.

